– La tristesse du Samouraï –

– La tristesse du Samouraï –

Roman noir où se mêlent histoires familiales et Histoire de l’Espagne, La tristesse du Samouraï est un livre puissant, dans lequel les souffrances s’entrecroisent et se superposent.

Victor del Arbol

Victor del Arbol

Victor del Arbol, après des études d’histoire à Barcelone, a officié dans les rangs de la police catalane avant de se lancer en 2006 dans une carrière d’écrivain.

La consécration internationale lui vient en 2011 avec la parution de La tristesse du Samouraï, best-seller traduit en 12 langues et couronné de nombreux prix littéraires.

 

La trame

Deux femmes…

Isabel, 1941, femme infidèle d’un époux sadique, s’apprête à le quitter avec leur plus jeune fils. Sur le quai de la gare, des hommes l’arrêtent dans sa fuite, le jeune garçon fait le choix de retourner auprès de son père, appâté par la promesse d’un samouraï. On ne reverra plus Isabel.

Maria, 1981, est ravagée par une tumeur au cerveau. Avocate brillante, elle est parvenue à faire condamner un policier véreux, coupable d’exactions sur un indic. Or la fille du condamné a été enlevée…

Quel lien existe-t-il entre ces deux femmes ?

Le livre, par d’habiles allers-retours, nous retrace les 40 ans qui séparent ces deux histoires. Peu à peu le puzzle prend forme et nous dévoile trois générations de victimes et de bourreaux, au travers de l’Histoire de l’Espagne, des heures noires de la période Franco, la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à la tentative de putsch du 23 février 1981.

Alors ?

Le pouvoir, la vengeance et la haine étaient plus forts que tout, et les hommes étaient capables de tuer ceux qu’ils aimaient et d’embrasser ceux qu’ils haïssaient, si cela pouvait les aider à réaliser leurs ambitions

Comme le laisse à penser cet extrait, La tristesse du samouraï est un roman noir, très noir qui nous entraîne au cœur d’une société espagnole hantée par son passé le plus sombre.

Roman de vengeance à assouvir et de destins à assumer. Toutes les fautes doivent être expiées, quel qu’en soit le prix et, inéluctablement, les enfants sont responsables des fautes commises par leurs parents.

La tristesse du samouraï est un livre triste, certes, mais d’une tristesse majestueuse, fière et belle. Il est traversé d’une violence réelle, des actes mais aussi des sentiments.

Le parallélisme avec le code d’honneur des samouraïs, vengeance, sens du sacrifice, courage, allégeance, ajoute à la noblesse et à la force du livre.

Petit bémol : âmes sensibles s’abstenir !

– Paulette Nardal, chantre de la négritude –

– Paulette Nardal, chantre de la négritude –

Le concept de négritude est associé aux noms de Léopold Sédar Senghor, le Sénégalais ou d’Aimé Césaire, le Martiniquais.

Peu, en revanche, se souviennent que ce courant littéraire et politique, principal mouvement d’émancipation des Noirs, a été initié par des femmes : les sœurs Nardal, Paulette et Jane en particulier.

Les sœurs Nardal, originaires de la Martinique, partent à Paris dans les années 20 afin de poursuivre des études littéraires à la Sorbonne.

Elles tiennent salon dans leur maison de Clamart où se côtoient Augusta Savage, Claude McKay, le couple Césaire, le politicien Félix Eboué, le jeune Senghor que Paulette Nardal fait inscrire à l’université mais aussi des artistes et de nombreux étudiants, néophytes militants des droits civiques.

Les sœurs et leurs invités célèbrent la culture noire, réfléchissent au sort des colonies et à la place des Noirs en Occident.

19 Octobre 1935 – Paulette Nardal (debout), Lucy (à gauche) et Jane (à droite) dans leur salon de Clamart. (source Bernard MICHEL)

Si elle admettait qu’ils avaient exprimé avec «beaucoup plus d’étincelles» les idées qu’elle et Jane «brandissaient», Paulette Nardal reprochera cependant longtemps aux hommes de la négritude d’en avoir éclipsé les femmes…

– Peter Pan, le maléfique –

– Peter Pan, le maléfique –

Le saviez vous ?

Peter Pan, dans l’œuvre de son créateur, l’écrivain écossais James Matthew Barrie, n’a rien du petit lutin espiègle et malicieux tel que nous l’a dépeint Disney.

C’est, au contraire, un enfant égoïste et sans cœur, né de l’imagination d’un homme, traumatisé par une enfance torturée.

A redécouvrir avec ce nouvel éclairage. 

– Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur –

– Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur –

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, prix Pulitzer 1961, est un mystère dans la carrière de Nelle Harper Lee.

Il s’agit en effet de son premier livre et, surtout, de son unique chef d’œuvre. Bon, je vous accorde que le propre d’un chef d’œuvre est de ne pas pouvoir être fabriqué à la chaine et que le succès de ce livre a été tel (40 millions d’exemplaires dans le monde) que la jeune Nelle Harper a peut-être dû se sentir phagocytée par cette soudaine et étouffante reconnaissance.

Il faudra attendre 50 ans avant de voir publié Va et poste une sentinelle , ce deuxième roman tant attendu, où l’on retrouve certains des protagonistes de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur.

La trame

Le roman, publié en 1960, se déroule en fait dans les années 30 à Maycomb, petite ville du sud de l’Alabama, au coeur de l’Amérique ségrégationniste.

Scout est un garçon manqué, elevé par son père, avocat de métier, pétri de sagesse et de bon sens, et par Calpurnia, domestique noire bienveillante et aimante. Le passe-temps préféré de la petite fille consiste à grimper aux arbres et à inventer avec son frère et leur ami commun des histoires.

Les jours et les semaines s’enchaînent, remplis d’insouciance, jusqu’à ce qu’Atticus soit nommé avocat d’office d’un homme noir accusé du viol d’une femme blanche, déchainant les passions en ville, brisant le calme apparent de la communauté et mettant les enfants face aux parts d’ombre des adultes.

Gregory Peck (Atticus Finch) et Brock Peters (Tom Robinson) dans le film To Kill a Mockingbird (Universal-1962)

Alors ?

Le livre est une dénonciation manifeste du racisme et des injustices flagrantes dont est victime la population noire américaine . Il a été publié en 1960, donc à une époque où le système ségrégationniste était encore très présent, notamment dans les états du sud des Etats-Unis. La réussite de Harper Lee consiste à avoir confié la narration de cette histoire à Scout, petite fille innocente donc sans parti pris, qui découvre les inégalités qui l’entourent, les incohérences dans le comportement des adultes et dans la façon de considérer et traiter les uns ou les autres.

Aux Etats-Unis, il se dit que « tuer un oiseau moqueur est un péché » car ces passereaux, cibles faciles et innocentes, ne sont là que pour nous enchanter par leurs chants. Il en est de même pour les être fragiles, enfants, personnes psychologiquement abimées ou socialement rejetées. Les exclure ou les rejeter nous prive de ce qui fait la beauté de ce monde. Et la force du livre et de nous mettre, nous, lecteurs, au niveau de la petite fille qu’est Scout et ainsi de faire corps avec ses pensées et ses réflexions. Une sorte de purification mais aussi un moyen efficace de nous ouvrir les yeux et l’esprit.
Mais assez de grandiloquence. Comme des millions avant vous (et des millions après vous, je pense), allez dévorer le roman de Harper Lee, éloge de la différence sous toutes ses formes.
– Confiteor –

– Confiteor –

Si vous avez des velléités d’écriture, et que vous vous imaginez passant des heures, debout, face à votre écritoire tel Henri Troyat ou reclus dans un vaste bureau éclairé par le soleil de Key West, à l’instar d’Ernest Hemingway, ne lisez pas Confiteor.

Car la lecture de Confiteor risque de vous faire douloureusement sentir que l’écriture est un art et que, peut-être, ce n’est pas sur votre berceau qu’une fée s’est penchée pour vous en attribuer le don…

Jaume Cabre

Jaume Cabre

Jaume Cabre est un écrivain catalan, belle province espagnole qui semble propice à l’éclosion d’artistes majeurs, de Dali à Miro, de Montaner à Gaudi, de Verdagor à Del Arbol.

Avec Confiteor, Cabre réussit un exercice de style attestant d’une maîtrise absolue de l’art de l’écriture, dans sa technicité mais aussi dans son rôle de vecteur de savoir et d’émotions.

La trame

Confiteor, comme nous l’apprend Wikipédia, est une prière de contrition de la liturgie catholique. Contrition, le mot est lâché.
L’histoire se déroule à Barcelone, dans les années cinquante. Adria Ardèvol, au crépuscule de sa vie, tente, avant que la maladie n’effiloche ses souvenirs, de retracer l’histoire familiale

Enfant unique de parents exigeants, Adria est, malgré lui, dépositaire de l’histoire familiale dont on devine progressivement les turpitudes, au travers de certains des objets qui ont peuplé le magasin du père d’Adria, antiquaire barcelonais.

Et ce sont ces objets que l’on suit, depuis leur genèse, au travers de toutes les horreurs qui ont émaillé l’histoire européenne comme l’inquisition, l’invasion nazie, le franquisme, pour converger vers Auschwitz, point culminant de l’abomination.

Alors ?

Alors, je ne vous en dis pas plus et vous laisse décrypter le poids que porte cet enfant et ce qui l’amène à cette ultime confession.

Car décrypter peut-être le premier mot qui vous viendra à l’esprit lorsque vous vous attellerez à cette œuvre. Sa lecture nécessite de la concentration, l’auteur réussissant l’exploit de glisser d’une époque à une autre en faisant parfois fi de la ponctuation et en mettant ainsi bien à mal nos repères spatio-temporels classiques. Puis les objets nous deviennent familiers, l’exercice est maîtrisé et la lecture de Confiteor devient un vrai moment de plénitude.

Plongez dans le parcours de cet enfant mal aimé, de cet adulte dépositaire de ce que l’humanité a de plus abject mais plongez surtout dans cet éloge à la beauté et dans cette quête du pardon, fruit d’un douloureux cheminement personnel mais qui reste notre unique espoir contre le Mal
– Lolita ou l’effroyable contresens –

– Lolita ou l’effroyable contresens –

La Lolita de Vladimir Nabokov n’est pas celle que l’on croit.

Humbert Humbert est un quadragénaire, professeur de littérature

Il est en prison pour meurtre, en attente de son jugement. Il entreprend alors d’écrire sa confession et de raconter son amour pour Lolita, 12 ans lorsqu’il en fait la connaissance.
Humbert est sensible au charme des « nymphettes » depuis un grand amour vécu à 13 ans et n’est pas attiré par les femmes adultes. Son mariage est un échec et, s’il épouse la mère de Dolores (alias Lolita), ce n’est que pour rester auprès de la jeune fille.
Lorsque son épouse décède, il persuade son entourage qu’il est le père de Lolita et prend la route avec elle à travers le Midwest, l’entraînant de motel en motel

Il m’arrive de me dire que notre long voyage n’avait fait que souiller d’une sinueuse traînée de bave ce pays immense, admirable, confiant, plein de rêves, qui, rétrospectivement, se résumait pour nous désormais à une collection de cartes écornées, de guides touristiques disloqués, de vieux pneus, et à ses sanglots la nuit – chaque nuit, chaque nuit – dès l’instant où je feignais de dormir

Humbert Humbert

Car Humbert Humbert a pleinement conscience de ce qu’il fait endurer à celle qu’il aime.
Le tour de force réussi par Nabokov a été de nous mettre à la place du narrateur (le récit est écrit à la première personne du singulier) qui, tout en se rendant compte de la souffrance qu’il génère, ne se définit jamais comme un pédophile. La jeune fille n’est jamais vue qu’à travers ses yeux et c’est le regard biaisé du prédateur qui interprète le moindre geste de sa victime comme une invitation et une tentative de séduction. Charge au lecteur de comprendre et de juger (ou pas…).

Cinq années de difficultés mais aussi de doutes (le manuscrit faillit être brûlé) et ce n’est pas l’achèvement de l’écriture de l’œuvre qui mettra un terme aux problèmes et aux malentendus, loin s’en faut.

Vladimir Nabokov

Vladimir Nabokov

Lorsque Nabokov termine la rédaction de Lolita, il a 54 ans et a une douzaine de publications à son actif.

Mais la renommée qui le précède ne suffit pas à convaincre les premiers éditeurs auxquels il présente l’ouvrage

Cinq grands éditeurs américains sont scandalisés par la lecture du roman et refusent de publier ce qu’ils qualifient de « pornographie pure »prétextant la peur de la censure et/ou le souhait d’une réécriture plus « morale » de l’oeuvre. Nabokov, qui n’a jamais douté avoir « écrit une bombe à retardement » ne s’attendait peut-être pas à ce que les professionnels de l’édition en fassent une lecture aussi superficielle et/ou seraient trop timorés pour assumer sa publication.
Un éditeur français accepte néanmoins de publier l’ouvrage, en anglais.

Malheureusement, Maurice Girodias, fondateur des éditions du Chêne en 1940, publie l’œuvre fin 1955 sous sa nouvelle marque The  Olympia Press, qu’il veut spécialisée dans la publication de fictions érotiques et avant-gardistes.
Maurice Girodias, bien entendu, y voit une apologie de la pédophilie.

Aurais-je accepté joyeusement de le laisser publier Lolita si j’avais connu en mai 1955 la nature exacte de la souple épine dorsale de sa production. Voilà une question douloureuse à laquelle j’ai longuement réfléchi. Hélas, j’aurais probablement accepté, moins joyeusement sans doute.

...dira Nabokov plus tard.

L’année suivante, vingt-cinq livres publiés par Girodias sont interdits en France

Lolita en fait partie.
L’interdiction sera levée en janvier 1958 et le livre ensuite rapidement publié aux Etats-Unis pour devenir un best-seller mondial. La critique, de son côté, est plus que partagée : l’accueil est enthousiaste, notamment de la part de Graham Greene, ou dégoûté, comme l’est celui d’Emile Henriot.

Dès lors, Nabokov n’aura de cesse de multiplier les mises au point, que ce soit dans la postface de l’édition américaine comme sur le plateau d’Apostrophes, célèbre émission télévisée littéraire, où en 1975, il clame que Lolita n’est pas une « petite fille perverse », mais une « pauvre enfant », victime d’un adulte qui, sous prétexte de son amour, la broie.

Ses détracteurs ont également tôt fait de rapprocher Nabokov du héros de son livre. Effectivement, son oeuvre est parsemée de nymphettes, comme ils le sont de tant de références à la passion de l’écrivain : les papillons.

La nymphette est à l’humain ce que la nymphe est au papillon : un passage intermédiaire, fugace mais obligé entre la larve et l’adulte. Un être en pleine mutation, fragile, immobile, faible mais magnifique de beauté et de perfection.

En 1962, Stanley Kubrick réalise le film éponyme qui ne fera qu’asseoir les choses : Lolita n’a nullement les traits d’une enfant n’ayant pas atteint la maturité sexuelle mais est présentée comme une jeune femme aguicheuse. L’affiche du film la montre affublée de lunettes en forme de cœur, une sucette à la bouche, telle Annie dans la chanson de Gainsbourg.

Le contresens y gagne en officialité et même les couvertures des futures éditions du roman présenteront désormais toujours Lolita comme une séductrice.

Encore aujourd’hui, Lolita est aux jeunes filles ce que Dom Juan est aux hommes : une séductrice manipulatrice

En 1992, près d’un demi-siècle après la parution du livre, un traducteur chinois a préféré lui attribuer un titre ne laissant pour le coup plus aucune place au doute : Amour morbide et dégénéré.
Pourtant un lecteur plus attentif de l’oeuvre ne peut pas passer à côté du fait que Humbert lui-même décrit Lolita comme « une enfant, une simple enfant » et précise que c’est son regard à lui, son regard de nympholepte, qui fait de Lolita une fille différente. Il la voit comme « une proie enchantée » et leur errance minable dans le Midwest est « un périple enchantée ». L’enfant n’est pas une nymphette dans l’absolu mais uniquement dans l’oeil de celui qui la désire. Pédophilie et inceste prennent, dans la bouche d’Humbert Humbert, des allures de Love Story hollywoodienne.
Durant la lecture, il ne faut jamais perdre de vue le choix qu’a fait Nabokov de faire de Lolita la confession d’un nympholepte et apprécier tout ce qui fait également la richesse du livre : les références littéraires, les écarts psychanalytiques, la critique comparée de l’Amérique ambitieuse mais parvenue et de l’Europe raffinée mais vieillissante etc.

Mais le scandale demeure et l’oeuvre continue de déranger…
Comme le souligne Vanessa Springora, malheureusement légitime pour donner à ce livre son interprétation la plus juste :
« C’est terrible, d’être arrivé à un tel contresens. Lolita est une condamnation de la pédophilie, un réquisitoire sans aucune ambiguïté. Je pense qu’il faut relire ce livre éternellement, il est indépassable. Aucun auteur n’a réussi à nous plonger dans la noirceur de l’âme d’un personnage pédophile, comme l’a fait Nabokov. Moi, je me suis sentie prise en compte grâce à ce livre. »

A voir, le documentaire d’Arte : Lolita, méprise sur un fantasme