Un châtiment divin…voilà comment notre société judéo chrétienne considérait la lèpre.

La lèpre

Cette malédiction frappait un être impur, un pécheur et justifiait son exclusion. Il devait cacher les infirmités et déformations que la maladie engendre et donne au corps l’apparence d’un cadavre en décomposition, dans un vêtement ample qui le cachait entièrement. Il mendiait pour survivre en agitant constamment une clochette, psalmodiant « impur, impur » afin d’avertir les bien-portants de son passage. Il pouvait également être enfermé à vie dans une léproserie où il était plus souvent maltraité que soigné.

Ce n’est qu’à la fin du XIXè siècle que le norvégien Gerhard Armauer Hansen découvrit le bacille responsable de la lèpre et donna son nom à la maladie.

Malheureusement, il faudra attendre le début des années 50 avant qu’un traitement vraiment efficace ne voit le jour.
La transmission de la lèpre demeure encore aujourd’hui mal connue. Il peut s’agir d’une maladie contagieuse mais toutes les formes ne le sont pas. En outre, un contact durable ou une promiscuité avec un lépreux semblent nécessaires pour que le bacille infecte le corps d’une personne saine (contact d’ulcérations de lépreux ou de linge souillé).

Beaucoup de points restent encore à préciser concernant l’épidémiologie de la lèpre.

La lèpre est une maladie qui touche les nerfs périphériques, la peau et les muqueuses,

La forme la plus fréquente est la lèpre tuberculoïde : la peau devient insensible au toucher, se couvre de grandes taches dépigmentées et des éruptions cutanées apparaissent.

Des troubles nerveux touchent les membres, entraînant des troubles de la sensibilité et des anomalies cutanées telles des ulcères, mutilations, paralysies.

Ces 30 dernières années, des progrès très importants ont été faits dans le traitement de la maladie qui a été éradiquée dans de nombreux pays touchés et n’est donc désormais plus un problème de santé publique mondiale. Elle demeure toutefois un problème de santé publique dans 100 pays situés en majeure partie en Afrique, Asie (Inde en particulier) et Amérique du Sud (Brésil).
Ainsi 210 000 nouveaux cas ont été détectés dans le monde en 2010 et 1,5 million de personnes voire plus sont atteintes (source Wikipédia).
Mais encore aujourd’hui, la vie des lépreux demeure difficile. Outre la souffrance, ils restent des parias, victimes d’une maladie taboue et mis au ban de la société.

Spinalonga :un ilot chargé d’histoire

Au nord est de la Crète, au large de la baie d’Elounda, s’étend un petit ilot rocheux d’un peu plus de 8 hectares : Spinalonga

Son emplacement stratégique en fait depuis l’antiquité un bastion pour les différents peuples qui successivement occupent la Crète, et leur assure une défense efficace contre les ennemis ou les pirates. Durant l’antiquité, afin de protéger la cité d’Olounta (future Elounda), une forteresse y est bâtie.
Sur les ruines de cette dernière, les Vénitiens, qui occupent l’ile à partir du début du XIIIè siècle, érigent l’une des places fortes les plus importantes et les mieux défendues de la Crète, à tel point que l’invasion ottomane de 1669 ne peut en venir à bout.
Ce n’est qu’après un long siège, en 1715, que les Vénitiens cèdent la place et, progressivement, une communauté turque, qui compte jusqu’à près de 1200 membres, s’installe sur l’îlot.
Il faudra attendre le traité de Constantinople de 1897 pour que la Crète devienne un état autonome et le rattachement au royaume de Grèce sera approuvé en 1908.
En 1901, le nouveau gouvernement crétois promulgue une loi : les lépreux qui, jusque là, survivaient, cachés dans des grottes ou des habitations de fortune sont traqués et il est décidé de faire de Spinalonga une colonie de lépreux.
La solution semble idéale. L’île, par définition, est isolée, ce qui assure une séparation physique avec les personnes saines. Spinalonga, cependant, est suffisamment proche de la côte, il est donc aisé d’y transférer les malades et d’organiser leur ravitaillement. L’ilot est certes encore habité par plus d’un millier d’habitants turco-crétois mais on les oblige à quitter les lieux, expulsant ainsi la menace ottomane. Enfin, les turcs partent en abandonnant leurs maisons qui constituent autant de logements à bon compte pour y héberger les lépreux.
Le moindre symptôme aboutit à la déportation et, lors de l’évacuation de l’île dans les années cinquante, on découvrira que certains parmi les prétendus étaient juste atteints de maladies de peau.
Les mères atteintes doivent quitter leur famille, les enfants malades sont arrachés à leurs parents.
Certaines femmes, saines, font également le choix de partir vivre sur l’île auprès de leur époux malade.
Officiellement, il s’agit d’améliorer les conditions de vie des lépreux.
La réalité, dans un premier temps, est toute autre : on prive les malades de citoyenneté et ils sont radiés des registres de naissance, on les installe dans des logements insalubres et on ne leur donne aucun soin.

La déportation ne cessera qu’en 1954.

La vie des lépreux à Spinalonga

Lorsque les lépreux arrivent sur cet ilot aride, la forteresse se dresse devant eux. Pour la traverser et rejoindre la colonie où ils passeront le reste de leur vie, ils doivent emprunter la porte de Dante…l’enfer se profile.
Durant les premières années, leurs conditions de vie sont déplorables : rien ne pousse sur cette terre, ils ne peuvent pêcher car ils n’ont pas de barques avec lesquelles ils pourraient s’évader, l’eau potable, indispensable également au lavage de leurs plaies, croupit dans des citernes anciennes et mal entretenues, il n’y a pas d’hôpital et chacun tente de se soigner comme il le peut.
Heureusement, l’état leur alloue une rente avec laquelle ils paient au prix fort des aliments ou des ustensiles aux habitants de Plaka, village pauvre de pêcheurs et de paysans, face à l’ilot.
Puis, très progressivement les conditions s’améliorent.
La mosquée turque devient un hôpital, quatre ans après les premières arrivées. Dans un premier temps, à défaut de guérir, puisqu’aucun traitement n’existe à l’époque, cet hôpital tente de soulager les lépreux. Mais l’activité du médecin qui s’y rend régulièrement consiste surtout à traiter maux et traumatismes éventuels de la vie courante.
En 1937, toutefois, les choses prennent une autre dimension : l’état grec fait construire un nouvel hôpital et des médecins venant d’Athènes viennent ausculter les malades. En 1947, ce sont deux nouveaux bâtiments qui viennent agrandir l’établissement.
La petite église vénitienne de St-Georges est réhabilitée, un ancien bastion vénitien devient un cimetière. Un prêtre reste désormais à demeure sur l’ile. Il en sera d’ailleurs le dernier habitant, et ne quittera l’ilot qu’en 1962, car selon les rites de l’Église grecque orthodoxe, une personne enterrée doit être commémorée à 6 mois, 1 an, 3 ans et 5 ans après sa mort.

Mais, surtout, contre toute attente, la vie continue : on se marie sur Spinalonga, des enfants naissent.
Les lépreux sont à Spinalonga pour mourir mais, en attendant, ils sont avides de vivre dans la « normalité ».

Petit à petit, les habitations sont rénovées, le système d’irrigation vénitien restauré. Des petits jardins avec des potagers apparaissent, certains ont des poules. Une école est créée, des magasins et des tavernes sont ouvertes. Un boulanger, un barbier et un coiffeur exercent leurs talents.

La vie culturelle n’est pas en reste : un théâtre voit même le jour et l’on vient y applaudir la compagnie théâtrale de l’île, des projections de films sont organisées.

Mais ces améliorations ne s’obtiennent pas sans mal : il faudra des grèves de la faim, des pétitions, des visites de médecins étrangers, des scandales pour que les autorités grecques se préoccupent des lépreux. Des associations viendront aussi contribuer à faire progresser les conditions de vie des déportés.

Vers le milieu des années trente, les revendications des habitants portent leurs fruits et un générateur est installé sur Spinalonga permettant d’alimenter en électricité tous les foyers de l’ile.
En 1939 est achevée une route qui fait le tour de l’ilot.

Tout cela prend fin en 1957. La léproserie est fermée et devient déserte après le départ du prêtre en 1962.

Les derniers lépreux sont accueillis dans un hôpital d’Athènes. Certains, guéris, ne peuvent revenir parmi les leurs et restent des parias à vie. Une communauté se reconstitue dans l’institution d’Agia Varvara où ils tentent de pousuivre, entre eux, un semblant de vie.

En 1954, Spinalonga avait été rebaptisée du nom chargé en histoire de Kalydon. Elle restera néanmoins Spinalonga pour les générations de touristes à venir.

Spinalonga aujourd’hui

Après l’arrêt de la colonie, l’île reste longtemps à l’abandon.
Plusieurs projets mûrissent cependant dans la tête des édiles car il faut trouver comment compenser la perte pécuniaire qu’engendre pour la population locale le départ des lépreux .
On pense d’abord y aménager un hôpital psychiatrique mais le coût d’une telle installation s’avère trop élevé.
L’Office du tourisme y projette ensuite la construction de cinq hôtels car, malgré son histoire, Spinalonga reste un site magnifique. Mais l’avènement du régime des colonels en Grèce donne un coup de frein à ce projet.
Les bâtiments de l’île se détériorent, la nature reprend ses droits.
Au début des années 70, on pense y installer une base navale militaire, au vu de son emplacement stratégique non démenti.
Fort heureusement, le ministère de la Culture s’y oppose : hors de question de détruire ce site, qui abrite encore les ruines chargées d’histoire des occupations vénitienne et ottomane.
En 1976, l’île est déclarée site archéologique et la forteresse est rénovée.
Dans les années 1980, quelques touristes, curieux, commencent à faire la traversée sur les embarcations des pêcheurs locaux.

En 2005, le succès du roman The Island de Victoria Hislop et de la série télévisée qui en est tirée font que Spinalonga devient le site touristique le plus important de la région.
Les vestiges vénitiens et ottomans ont certes été mis en valeur mais la colonie principale des maisons en ruine. Avec la récupération touristique, la mémoire de la léproserie retrouve un intérêt économique, des maisons sont rénovées, les volets repeints de couleurs joyeuses, certaines deviennent de petits musées emplis d’objets, de photographies de la vie quotidienne des lépreux.
Spinalonga, qui pendant un moment n’apparaissait pas sur la carte touristique de la Grèce et dont les crétois préféraient oublier le passé honteux, présente désormais un intérêt touristique majeur pour la région.