Que celui qui ne s’est pas rendu compte de l’actuel rayonnement culturel de la Corée du Sud retourne immédiatement dans sa tanière !

Depuis 3 décennies, le monde découvre les trésors de la péninsule.
Après les jeux olympiques de Séoul, en 1988, ce sont tout d’abord les délices de la gastronomie coréenne qui répandent leurs saveurs hors des frontières du pays.
En 2004, un petit monsieur souriant et sautillant dépasse le milliard de vues sur YouTube avec Gangnam Style. La K Pop devient incontournable, les jeunes filles se pâment devant les chanteur(se)s et danseur(se)s de boys(girls) bands, seul(e)s survivant(e)s d’une sélection féroce et d’un entraînement sévère.
Puis c’est au tour des célèbres mangas japonais de se faire détrôner par les webtoons, des BD numériques coréennes.
Quant au cinéma, après une montée progressive dans les années 2000, des films comme Dernier train pour Busan puis Parasite, de Bong Joon-ho, Oscar du meilleur film en 2020 et Palme d’or à Cannes un an plus tôt, achèvent de placer la Corée du Sud dans la cour des (très) grands.
Enfin, cerise sur le gâteau, qui ne fait que confirmer l’influence grandissante de la Corée du Sud dans le domaine culturel, Squid game, série dystopique, est vue par 100 millions de foyers en moins d’un mois, un record  !

Comment un aussi petit pays a-t-il réussi l’exploit d’inonder la planète de sa déferlante culturelle ?

En préambule, leçon de vocabulaire…

La « hallyu »

Cette vague culturelle coréenne porte un nom : la « hallyu ». Le terme vient d’ailleurs d’être ajouté à la dernière édition de l’Oxford English Dictionary, un dictionnaire de référence pour la langue anglaise, excusez du peu !

Le « han »

En coréen, le mot « han » définit une sorte de colère ancestrale liée aux défaites militaires subies. C’est cet esprit de revanche qui porte la Corée du Sud et lui donne la volonté de concurrencer la Chine et le Japon, qui l’ont successivement envahie.

Les « chaebols »

Les chaebols sont des conglomérats d’entreprises dont certains sont spécialisés dans les industries culturelles (cinéma, musique, bandes dessinées…) ; ils assurent le rayonnement des contenus en gérant à la fois leur production, leur diffusion…

Puis un peu d’histoire-géographie….

La Corée du Sud se situe ici ->

C’est un petit pays, dont la surface est 5 fois inférieure à celle de la France mais proportionnellement assez peuplé puisqu’il compte un peu plus de 52 millions d’habitants dont la moitié vivent dans la mégalopole de Séoul.
Son histoire n’a pas été toujours simple : pas facile de survivre entre deux surpuissances aux dents longues telles le Japon et la Chine.
Si la Corée est un royaume millénaire, la naissance de la Corée du Sud à proprement parler date de 1945, les États-Unis et l’URSS ayant décidé de se partager la péninsule qui, depuis le début du XXème siècle, était sous domination japonaise.
S’en suivirent plusieurs années d’une guerre fratricide…
Après l’armistice, la Corée du Sud connut des régimes autoritaires, puis une démocratisation et, progressivement, un puissant décollage économique pour devenir aujourd’hui la 11ème puissance mondiale.
En 1997, lors de la crise financière asiatique, le gouvernement décida d’investir massivement dans les industries culturelles, l’ambition des gouvernants étant de faire de la Corée « un des cinq premiers pays de l’industrie culturelle »et accroître par ce biais son influence sur la scène internationale.

Cette stratégie politique imaginée par la Corée du Sud dans les années 1990 visait donc à étendre ce que l’on nomme le soft power.
Qu’est-ce que le soft power me direz vous ?
Le soft power se définit par la capacité d’un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur par un ensemble de moyens autres que coercitifs (cad la menace, l’usage de la force etc.),
Il renforce ainsi la légitimité de son action internationale, ce qui constitue également un facteur de puissance.
L’attractivité de la culture, la diffusion de l’éducation, par exemple, sont deux des principaux vecteurs du soft power ; il s’agit là d’autant de moyens pacifiques pour convaincre les autres acteurs des relations internationales d’agir ou de se positionner dans un sens donné.
Bref la culture est donc une composante du  soft power  qui est une capacité d’influence des États.
La Corée du Sud est un géant du soft power et possède, par là, un impact politique démesuré par rapport à sa taille.

Quelles sont les clés de cette réussite ?

La volonté : le « han »

Le « han » motive et porte les coréens dans leur volonté de prendre leur revanche sur leurs voisins.
Et force est de constater que la Chine voisine, puissance économique monstrueuse, est incapable, en raison de sa rigidité politique, de rivaliser en terme d’impact de ses industries culturelles. La sévère reprise en mains actuelle qu’effectue le pouvoir chinois confirme cela : les hommes jugés trop « efféminés » sont, par exemple, interdits à la télévision.

L’aide pécuniaire du gouvernement

Dans les années 1990, l’état finance massivement la culture et légifère pour inciter les investissements . Environ 500 millions de dollars sont attribués chaque année au ministère de la Culture, ce qui lui permet d’investir massivement dans des projets culturels.
Résultat : entre 1999 et 2003, le poids de l’industrie du divertissement est multiplié par 5.

Une stratégie économique

Afin de se démarquer de ses voisins japonais et chinois, géants industriels de l’automobile et de l’électronique, la Corée du Sud se centre sur les services et la culture.
Elle devient ainsi le pays le plus connecté au monde et prend une longueur d’avance sur les cultures de l’ère numérique.
En outre, dans la compétition économique mondiale, les conglomérats que sont les chaebols constituent un outil puissant. Leur force de frappe permet de concentrer la production culturelle, la promotion, la diffusion, mais également de générer d’importantes retombées dans d’autres activités, comme les cosmétiques, la mode, le tourisme.

Une politique de promotion active

Le pays doit également sa réussite à une politique de promotion de l’industrie culturelle et artistique à l’étranger menée par l’Etat sud-coréen. A cette fin a été créé une commission spéciale sur le « nation branding ».

La Korea Creative Content Agency, qui est derrière beaucoup d’initiatives payantes, comme faciliter l’accès des journalistes étrangers à la Corée du Sud afin qu’ils soient en mesure ensuite de rendre compte de leur visite et de faire à l’étranger la promotion du pays, est un pur produit de cette politique.

Le soft power créant également un intérêt énorme pour la langue coréenne, le gouvernement saisit cette opportunité et fonde l’Institut Sejong, implanté dans de nombreux pays par le monde.

Une stratégie marketing

La crise de la fin des années 90 suscite des vocations. Les jeunes générations délaissent les secteurs traditionnels sinistrés pour s’orienter vers des formations artistiques, créant un vivier de talents. C’est là que les grandes agences de divertissement vont dénicher celles et ceux qui, au prix d’intenses années d’entraînement, deviennent des « idols » – soit, dans le jargon de la pop culture coréenne, des performeurs séduisants et polyvalents, capables de chanter, danser, jouer.

Aujourd’hui, certaines de ces agences ambitionnent même d’exporter à l’étranger leur « cultural technology » soit, en gros, les clés de leur système de production de K-pop , à savoir, castings géants, entraînement intensif de plusieurs années, une hyper-production musicale, management strict et une stratégie de marketing globale.

Un star-system novateur

En outre, il est mis en application une façon tout à fait novatrice de valoriser le star-system associée à une fan culture très dynamique.
La vague de la pop culture coréenne n’aurait certainement pas pris sans cela. Les fans sont encouragés à devenir extrêmement dévoués, à se regrouper en communautés et à utiliser abondamment les réseaux sociaux pour promouvoir leurs artistes préférés.

Une critique de notre modernité mondialisée

La production sud-coréenne n’est pas sirupeuse, loin s’en faut. L’opposition des classes est LE thème qui revient dans tous les contenus coréens qui percent à l’étranger en ce moment : le film Parasite en est un exemple criant. La série Squid Game, quant à elle, aborde le problème du surendettement dans une société hyperconcurrentielle. IL s’agit certes d’une incitation à se dépasser  mais c’est essentiellement une  critique du capitalisme sauvage et une dénonciation des inégalités très présentes en Corée du Sud, pays autrefois misérable qui a connu un formidable développement économique avec les revers qui, hélas, vont de paire.

Dans ses chansons, le groupe de K-pop BTS dénonce la pression scolaire dans une société coréenne ultra-compétitive. Ils s’engagent sur des thèmes chers à la génération Z. Ils ont d’ailleurs été invités à se produire à l’ONU en septembre 2021 et à parler de développement durable. 

Et donc ?

Et donc, la capacité des fans de musique pop sud-coréenne à influencer de façon transnationale des événements politiques, se révèle un très bon exemple de la notion de soft-power. Or cette puissance, si elle est indépendante de toute décision gouvernementale sud-coréenne, doit sa genèse et sa vigueur à des choix politiques et économiques encourageant une industrie culturelle conquérante.

Et ce n’est pas fini….
Malgré l’année noire qu’a représenté 2020 pour les arts en général, la capacité de l’industrie sud-coréenne à produire du contenu numérique et sa compétitivité lui ont permis de renforcer sa position sur le marché du divertissement.
La culture booste l’économie sud-coréenne. Squid Game a fait vendre énormément de friandises coréennes les Dalgona qui sont utilisées dans la série et, en 2017, 1 touriste sur 13 venait spécialement en Corée du Sud pour la K pop.

En clair le soft power crée du nouveau soft power

La Corée du Sud, au cœur d’une zone géopolitique majeure et explosive, a su trouver la recette d’une culture nationale qui sait parler au reste du monde. C’est un atout considérable au XXI° siècle.
Après Gangnam Style, BTS, Parasite et Squid Game, attendez-vous à entendre encore beaucoup parler de ce pays !